Editorial

Cette première lettre d’information de l’Institut de droit public coïncide avec la promesse d’un retour imminent à une vie « normale ». Si la crise sanitaire a bousculé nos pratiques pédagogiques et nos méthodes de recherche et a mis malheureusement plus de distance -trop parfois- entre nous tous, on ne peut que se réjouir de voir que l’essentiel a été préservé et que notre équipe -l’IDP- a su s’adapter pour assurer la continuité de la recherche et préparer l’avenir.

La continuité de la recherche a été incontestablement assurée. D’abord par nos jeunes chercheurs dont quatre d’entre eux sont devenus docteurs en fin d’année dernière, dans des conditions qui n’étaient évidemment pas idéales. Les confinements successifs, les difficultés d’accés aux ressources documentaires et les soutenances en visioconférence ne les ont pas empêché de mener leurs travaux à terme et c’est un véritable motif de satisfaction pour tous les membres de l’IDP (K. B. Bekpoli, L’approche statutaire dans la fonction publique. Approche comparée de la notion de statut général en France et au Togo, Université de Poitiers, 16 octobre 2020, dir E. Aubin ; Z. Kambia, Les ventes immobilières des personnes publiques, Université de Poitiers, 5 novembre 2020, dir. F. Brenet ; G. Fare, La contradiction dans le contrôle de constitutionnalité des lois, Université de Poitiers, 19 novembre 2020, dir. S. Benzina ; I. Adoyi, La performance des dépenses fiscales, Université de Poitiers, 17 décembre 2020, dir. S. Kott). La continuité de la recherche a également été assurée par les enseignants-chercheurs de l’IDP qui ont assuré la publication des actes de colloques organisés avant mars 2020 (Le Conseil Constitutionnel est-il le gardien des libertés ?, dir. S. Benzina, Presses universitaires juridiques de Poitiers-LGDJ, mars 2021).

Inévitablement, le contexte sanitaire a conduit a déprogrammer et/ou à reporter plusieurs colloques qui s’annonçaient particulièrement stimulants. Fort heureusement, certains d’entre eux ont pu avoir eu lieu dans un format différent. Ainsi, faute d’avoir pu organiser en présentiel, en mars puis en novembre 2020, le colloque consacré aux «racines littéraires du droit administratif », ses organisateurs ont réuni les contributions des intervenants et assuré leur publication rapide dans la collection droit public des Presses universitaires juridiques de Poitiers (Les racines litteraires du droit administratif, dir. A.-L. Girard, A. Lauba et D. Salles, Presses universitaires juridiques de Poitiers,-LGDJ, juin 2021).

Même si le retour à la normale n’est pour le moment qu’une perspective et un espoir, les membres de l’IDP sont donc résolument tournés vers l’avenir, sans doute pour mieux définitivement tourner la page de la Covid-19. L’IDP se prépare à être évalué par le Hcéres, d’autres soutenances de thèses se profilent et de nouveaux colloques sont annoncés (Cohérence et contentieux administratif, dir. A. Claeys et J.-V. Maublanc ; L’action sociale face à la Covid-19, dir. L. Levoyer et K. Michelet). Vivement demain !

François Brenet

Interview de Basile Ridard

Quel a été votre parcours avant de devenir maître de conférences à l’Université de Poitiers ?

J’ai commencé mes études de droit à l’Université de Rennes 1 et poursuivi mon cursus en Allemagne, dans le cadre d’un double diplôme de deux ans. La découverte du système juridique allemand m’a passionné et conduit à intégrer le Master 2 recherche droit public comparé européen de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, au sein de laquelle j’ai réalisé ma thèse comme doctorant contractuel puis comme ATER. Mon travail doctoral, consacré au sujet de « l’encadrement du temps parlementaire dans la procédure législative » dans une perspective comparée, m’a amené à effectuer des séjours de recherche à Freiburg, Madrid et Oxford.

Une fois ma thèse achevée, j’ai travaillé au Secrétariat général de la Commission européenne, dans le service des relations avec le Parlement européen, avant de devenir enseignant-chercheur contractuel à l’Université de Picardie Jules Verne et Senior Research Fellow à l’Institut royal des relations internationales, à Bruxelles. Je suis ravi d’avoir désormais rejoint l’Université de Poitiers, un établissement dynamique, à taille humaine et résolument tourné vers l’international !

Quels enseignements assurez-vous à la Faculté de droit et de sciences sociales ?

J’ai eu la chance de pouvoir constituer un service d’enseignement varié. Chargé des cours d’introduction générale au droit, de droit constitutionnel et d’introduction au droit européen, j’ai également eu le plaisir de m’ouvrir à de nouvelles matières, en particulier le droit fiscal.

Pouvez-vous nous parler de votre domaine de spécialité et de vos projets de recherche en cours ?

L’intérêt pour la recherche m’est venu avant tout par le droit constitutionnel comparé et le droit parlementaire. Je m’intéresse aussi beaucoup aux modalités des processus décisionnels, en droit comparé comme en droit européen.

En ce qui concerne mes projets de recherche actuels, je viens de codiriger un rapport comparatif sur l’impact de la crise sanitaire sur le fonctionnement de treize parlements en Europe. J’organise très prochainement un colloque sur « Les figures contemporaines du chef de l’État en régime parlementaire », avec une forte dimension comparée. Désormais, j’ai à cœur de développer des collaborations avec mes nouveaux collègues et de m’inscrire dans la dynamique de recherche de l’IDP où, malgré les conditions particulières liées à la pandémie, j’ai été très bien accueilli !

Actualités de la recherche

Kossi Balakyem BEKPOLI, L’approche statutaire dans la fonction publique. Approche comparée de la notion de statut général en France et au Togo, thèse soutenue à l’Université de Poitiers le 16 octobre 2020, sous la direction de Monsieur le Professeur Emmanuel AUBIN.

En France, le statut général des fonctionnaires, symbole du pacte républicain, porté sur les fonts baptismaux au lendemain de la libération, est considéré comme un monument « sacré », intouchable parce que faisant le trait d’union entre les services publics et les fonctionnaires. Cette sacralisation de l’édifice statutaire s’est très vite observée dans la plupart des pays africains francophones au sud du Sahara, dont le Togo, ancien territoire placé sous mandat français, qui a fait le choix fort, au lendemain de son accession à la souveraineté internationale de calquer, son modèle de fonction publique sur celui de son ex-métropole. En dépit des divergences politiques, économiques et culturelles très manifestes entre les deux pays, leurs fonctions publiques sont symétriquement confrontées ces dernières années à une double crise : une crise de « l’esprit du fonctionnaire », traduite par l’affaiblissement des valeurs du service public, la démobilisation des agents publics autour des ambitions communes du service public et l’amenuisement de leur sens de responsabilité ; mais également une crise gestionnaire caractérisée par des rigidités et les lourdeurs dans la gestion des carrières. Face à ces crises, imputables dans une certaine mesure aux statuts généraux et aux modèles de gestion qu’ils mettent en place, les pouvoirs publics français et togolais ont engagé des projets de réformes visant, d’une part, à construire un nouvel esprit du service public et, d’autre part, à faire évoluer la gestion des fonctionnaires vers une véritable gestion de ressources humaines, similaire à celle en vigueur dans le secteur marchand. Si en conséquence les réformes initiées ici et là ont reconfiguré la physionomie des fonctions publiques en leur donnant un double visage, l’un tourné vers la préservation de l’esprit du fonctionnaire et l’autre vers le résultat et la performance, ces réformes apparaissent encore largement insuffisantes aux yeux des élites néolibérales.

Zibrila KAMBIA, Les ventes immobilières des personnes publiques, thèse soutenue à l’Université de Poitiers le 5 novembre 2020, sous la direction de Monsieur le Professeur François BRENET.

Les ventes immobilières des personnes publiques soulèvent des questions juridiques (voire de science administrative) diverses et variées. Qu’on songe par exemple aux questions budgétaires et de gestion domaniale, à des questions de techniques contractuelles de vente ou, de façon générale, au régime juridique de tels contrats, etc. Bien qu’elles paraissent parfois sans rapport les unes avec les autres, ces questions cristallisent une problématique générale qui s’est imposée comme ligne directrice de cette thèse. Il est en effet apparu que le regime juridique des ventes immobilières des personnes publiques était à la fois hétérogène et éclaté, en raison d’une part de la très grande diversité des utilisations qu’en font les personnes publiques (ventes sèches, ventes assorties de conditions, etc.), et d’autre part de la la différence de statut des personnes publiques (les ventes immobilières de l’Etat étant soumises à des règles sensiblement différentes de celles applicables aux ventes immobilières des collectivités territoriales).

Gbati FARE, La contradiction dans le contrôle de constitutionnalité des lois, thèse soutenue à l’Université de Poitiers le 19 novembre 2020, sous la direction de Monsieur le Professeur Samy BENZINA.

Alors que la contradiction est considérée aussi bien en droit interne qu’en droit international et européen comme un principe fondamental du procès, le Conseil constitutionnel a longtemps paru vouloir maintenir le principe à distance de la procédure du contrôle de constitutionnalité des lois. Longtemps, la doctrine a dénoncé l’absence d’une véritable contradiction devant le Conseil et les caractères informel et précaire de la procédure menée par le juge constitutionnel dans le contrôle a priori des lois. En pratique, ce contrôle exercé par la Haute instance sur le fondement de l’article 61 alinéa 2 de la Constitution n’est pas complètement hermétique au contradictoire. En revanche, le contrôle de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) trouve son fondement dans l’article 61-1 de la Constitution. Il est prévu dans le cadre du déroulement de cette procédure, l’application formelle de la contradiction devant le Conseil constitutionnel. L’émergence de la contradiction dans le contrôle a priori puis sa formalisation dans le contrôle QPC n’a pas fait l’objet d’études doctrinales d’ampleur. La recherche s’est attachée aussi bien à l’étude de l’application de la contradiction, qu’à l’analyse de son influence dans les décisions de constitutionnalité rendues par le Conseil constitutionnel. En premier lieu, l’étude a visé à démontrer que la contradiction est une nécessité dans le contrôle de constitutionnalité des lois aussi bien d’un point de vue juridique que pratique. Du point de vue juridique, la contradiction s’impose au Conseil dans la mesure où elle est garantie par des normes constitutionnelles comme supranationales. En pratique, la contradiction est une méthode de recherche de la vérité en droit processuel. Elle est indispensable au juge pour identifier l’ensemble des éléments pertinents à son jugement. En second lieu, l’étude a visé à déterminer le véritable poids de la contradiction dans les décisions du Conseil constitutionnel. Il résulte de cette recherche que, d’une part, face aux singularités du contrôle de constitutionnalité des lois, aux difficultés d’ordre organisationnel et procédural auxquelles le Conseil constitutionnel est confronté, la contradiction a une place et une influence limitées dans le procès constitutionnel et dans les décisions. D’autre part, cette réalité oblige le Conseil constitutionnel à une mobilisation de documents additionnels, en vue d’une complète instruction des questions de constitutionnalité. L’étude consacre une analyse de l’influence de ces ressources dans les décisions du Conseil constitutionnel.

Ibouraïm ADOYI, La performance des dépenses fiscales, thèse soutenue à Poitiers le 17 décembre 2020, sous la direction de M. le Professeur Sébastien KOTT.

« La dépense fiscale est un instrument d’intervention économique particulièrement imprécis. Sans qu’on puisse bien savoir les sacrifices qu’implique son emploi, ses effets demeurent complexes et incertains » (P.-M. Gaudemet, « Un mode d’interventionnisme économique : les dépenses fiscales », in l’interventionnisme économique de la puissance publique, études en l’honneur du doyen Georges Pequignot, Montpellier : CERAM, 1984, p. 338). Au-delà de sa fonction financière qui consiste à procurer les recettes fiscales nécessaires à la couverture des charges publiques, l’impôt a toujours été utilisé à des fins d’incitation économique et d’équité sociale à travers des mesures dérogatoires aux normes fiscales générales. Ces mesures constituent essentiellement les dépenses fiscales et l’objet de la thèse est précisément d’évaluer ces dépenses afin de savoir si les objectifs poursuivis par le législateur sont atteints et si les coûts suscités sont raisonnables. Cette évaluation permet d’apprécier l’opportunité de l’utilisation de l’impôt à des fins extra-budgétaires. Il ressort qu’il est difficile d’évaluer la performance des dépenses fiscales. Les évaluations réalisées par la Cour des Comptes, l’Inspection générale des finances ou le Conseil des prélèvements obligatoires, etc. sont lacunaires et asymétriques. La performance des dépenses fiscales s’en trouve excessivement discutée, même à admettre qu’elle ne soit pas nécessairement démontrée. Il semble que le législateur pourrait imposer certaines obligations au gouvernement de nature à améliorer le chiffrage des coûts des dépenses fiscales, tout en proposant une nouvelle méthodologie d’approfondissement de l’évaluation de leur performance. Au-delà de ces propositions, il pourrait être intéressant d’envisager une refonte des dépenses fiscales. Celle-ci pourrait consister en leur délimitation plus restrictive (les dépenses fiscales se limitant alors aux mesures incitatives) et en leur regroupement dans des sous-catégories en fonction des objectifs qu’elles poursuivent. Plus fondamentalement encore, il pourrait s’agir de réformer la politique fiscale en recentrant l’impôt sur sa fonction budgétaire, en ne l’utilisant à des fins interventionnistes par le biais des dépenses fiscales qu’avec parcimonie, tout en assurant une une meilleure articulation entre les dépenses budgétaires, les dépenses sociales, les niches sociales et les dépenses fiscales.


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